Revue n° 42-43, 2002
Réflexions sur les élections
La question des élections, qui est à la base de tout système de gouvernance, est aujourd’hui une question fondamentale.
La poussée de la démocratie et des processus démocratiques dans le monde est une évolution positive. Durant les dix dernières années, de plus en plus de pays se sont prononcés en faveur d’élections libres, de la représentativité du pouvoir et du strict respect des droits de l’homme.
Toujours est-il que la bonne administration des affaires publiques reste pour l’ensemble des pays un défi, même pour ceux qui ont derrière eux un passé démocratique.
Dans certains pays, la corruption, la délation, l’incohérence du débat politique, ou le détournement des campagnes électorales ont dégoûté les électeurs au point de menacer l’intégrité du système tout entier. Dans d’autres pays, les nouvelles expériences en matière de démocratie sont menacées par toutes sortes de problèmes, dont le manque d’expérience, des tensions ethniques séculaires et des attentes culturelles divergentes. De plus en plus de citoyens n’ont plus confiance en leurs dirigeants, fustigent avec cynisme leurs gouvernements et refusent d’accomplir leurs devoirs de citoyens.
La communauté mondiale bahá’íe, qui dirige ses affaires dans le cadre de conseils administratifs librement élus aux niveaux local, national et international, peut offrir une alternative intéressante.
Sous bien des aspects, son système électoral rassemble les meilleures pratiques des autres systèmes : les élections se tiennent régulièrement et les élus ont des mandats précis ; les votes se font à bulletin secret à tous les niveaux ; enfin, tous les membres adultes de la communauté, sans distinction de race, de sexe ou d’appartenance ethnique, ont le droit de vote.
Toutefois, les élections bahá’íes se distinguent par quelques particularités exemplaires. Tout d’abord, il n’y a pas de candidat désigné ni de procédure pour faire acte de candidature. Dans la plupart des cas, tous les électeurs sont considérés comme éligibles. De plus, il n’y a ni campagne ni sollicitation d’aucune sorte. Dans cette logique, il n’existe pas non plus de factions idéologiques, ni de partis politiques.
À première vue, cette absence de désignations, de campagnes ou de partis paraît peu réaliste mais c’est en fait un système pratique qui débouche sur un système d’administration stable, pacifique et imperméable à toute corruption et qui agit au mieux pour les intérêts de la vie publique.
La meilleure façon d’expliquer la manière dont se déroulent les élections bahá’íes est peut-être de décrire le processus par lequel sont choisis les membres de l’administration bahá’íe au niveau local.
L’Assemblée spirituelle locale, qui est chargée de veiller aux affaires de la communauté bahá’íe dans une circonscription donnée (généralement village, arrondissement, ville, canton), se compose de neuf adultes résidant dans la communauté dont elle est responsable. Elle est élue tous les ans.
Le processus électoral est très simple. Chaque année, en avril, tous les membres adultes de la communauté se réunissent et, dans une atmosphère de prières et de réflexion, déposent des bulletins de vote sur lesquels sont inscrits les noms des neuf adultes qui leur paraissent êtres les plus aptes à diriger la communauté.
Les résultats sont dépouillés sur place et les neuf personnes qui recueillent le plus de voix sont élues.
Tout en étant simple, ce mode d’élection au sein de l’ensemble de la communauté présente de nombreux avantages en tant que système de gouvernance :
• Liberté de choix totale. Comme il n’y a pas de « candidats » désignés en tant que tels, celui qui vote a l’entière liberté de choisir ceux ou celles qui lui semblent les plus qualifiés.
• Liberté de conscience dans la prise de décision. Les élus sont dégagés de toute promesse électorale. Ils n’appartiennent à aucune circonscription, aucun parti ou aucune catégorie d’électeurs. Lorsque l’Assemblée se réunit, ses membres ont l’entière liberté de parole et de vote et de prendre des décisions selon leur conscience.
• Pas de pression financière. Pas de campagne, pas de collecte de fonds et, par voie de conséquence, pas de corruption.
• Priorité aux qualités morales. Puisque personne n’est nommé et qu’il n’y a pas de campagne électorale, les personnes qui cherchent à défendre leurs idées, leur carrière ou leurs intérêts n’en tirent aucun avantage et sont même pénalisés car les électeurs bahá’ís donnent la prime aux valeurs morales et spirituelles.
• Conception nouvelle du pouvoir. Le pouvoir de décision étant entre les mains des organes administratifs, le système bahá’í ne permet pas à des individus d’imposer arbitrairement leur volonté ou leur autorité et il ne peut servir de tremplin pour accéder à un quelconque pouvoir. Tous les membres de la communauté bahá’íe, quelle que soit la position qu’ils occupent dans le système administratif, doivent se considérer comme engagés dans un processus d’apprentissage où ils cherchent à comprendre et à appliquer les lois et les principes de leur foi.
En résumé, le système bahá’í vise à mettre à la tête de la communauté un type nouveau de dirigeant, qui aura été remarqué par ses pairs non seulement pour son humilité et sa sagesse mais aussi pour sa force morale et intellectuelle. Ce système est enraciné dans un processus spirituel qui prend appui sur la noblesse des motivations de son électorat et l’attitude de prière qu’elle adopte au moment du vote.
Shoghi Effendi, interprète des écrits du fondateur de la foi bahá’íe de 1921 à 1957, énonce les qualités que les électeurs bahá’ís doivent rechercher.
Il leur demande instamment de « considérer – sans la moindre trace de passion ni de préjugé, et sans tenir compte de la moindre considération matérielle – les noms de ceux qui, seuls, peuvent le mieux réunir les qualités nécessaires de loyauté incontestable, de dévouement désintéressé, d’esprit bien formé, de compétence reconnue et de mûre expérience … »
Le système met l’électeur face à ses responsabilités et aux objectifs de développement de la communauté.
Shoghi Effendi dit encore : « Les procédures et les méthodes électorales bahá’íes ont, en effet, parmi leurs buts essentiels, le développement de l’esprit de responsabilité chez le croyant. En insistant sur la nécessité de préserver sa pleine liberté lors des élections, elles l’obligent à devenir un membre actif et bien informé dans la communauté bahá’íe du lieu où il réside ».
Afin d’être capable de faire un choix avisé au moment de l’élection, il est nécessaire de rester en relation étroite et permanente avec les autres membres de la communauté, de garder le contact avec toutes les activités locales et de participer pleinement et de tout cœur aux affaires des assemblées et comités, tant locaux que nationaux, de son pays.
« […] Ainsi, la vie communautaire bahá’íe enjoint à chaque croyant loyal et fidèle le devoir de devenir un électeur intelligent, bien informé et responsable ; elle lui donne aussi l’opportunité de s’élever lui-même à un tel rang. »
Toute la procédure est un élément important de l’action communautaire et de l’engagement de la communauté bahá’íe.
Le système fonctionne aux niveaux national et international. Par exemple, les membres des Assemblées spirituelles nationales, c’est à dire les organes administratifs bahá’ís au niveau national, sont élus, sans avoir été nommés et sans faire campagne, lors des conventions nationales composées de représentants élus au niveau du district par le même type de procédure. Enfin, le conseil supérieur international de la foi, la Maison Universelle de Justice, est élu tous les cinq ans par les membres de toutes les Assemblées spirituelles nationales.
Il existe aujourd’hui environ 180 Assemblées spirituelles nationales dans le monde. Dans certains pays, elles peuvent s’avérer être les seules institutions réellement démocratiques.
Une étude approfondie du mode d’élection pratiqué par les bahá’ís pourrait enrichir grandement la réflexion menée actuellement aux quatre coins du globe sur les élections.
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