Revue n° 37, 1999
Une artiste internationale entre deux mondes : la peinture et le développement
NAIROBI — C’est peut-être une coïncidence. Ou quelque chose qui travaille son subconscient. En tous cas, l’eau est un thème qui revient sans cesse dans la plupart des œuvres récentes de Géraldine Robarts.
« J’adore l’eau », dit cette artiste peintre née à Londres. « C’est pourquoi l’année dernière, je n’ai peint que la mer et l’océan. »
Ceci est intéressant quand on sait que Mme Robarts vit à Nairobi, ville d’altitude au climat sec située à près de 500 kilomètres de la côte et qu’elle passe beaucoup de temps à réfléchir à un projet d’approvisionnement en eau destiné à un village situé dans le district semi-aride de Kitui.
Cependant, pour Mme Robarts, qui a vécu au Kenya pendant plus de 28 ans, ce sont justement les contrastes qui stimulent son esprit bouillonnant. Pendant une minute, elle vous parle de pompes à eau qui sont actionnées par le pied dans les villages africains et la minute d’après, elle vous explique comment ses dernières peintures - volutes abstraites et chatoyantes dans lesquelles on peut aisément distinguer un paysage marin mousseux et vaporeux - sont pour elles une forme de prière.
Ces deux mondes, la peinture et le développement rural, sont certainement les deux pôles de sa vie et de ses activités. L’œuvre de Mme Robarts a été présentée dans de nombreuses expositions à travers le monde et, avec un peu plus de marketing, elle pourrait sans aucun doute doubler ou tripler les revenus de sa peinture. Pourtant, elle passe beaucoup de temps et d’énergie et met toute son influence en tant qu’artiste au service de la cause des femmes des villages du district de Kitui auprès des organismes humanitaires basés dans la capitale du Kenya.
En 1992, Mme Robarts et deux autres femmes kenyanes ont créé Rehema, organisation non gouvernementale basée à Nairobi qui se consacre aux femmes rurales du Kenya. Les trois dames sont bahá’íes et s’efforcent d’appliquer les principes de la foi bahá’íe dans leurs actes. « Notre thème est l’intégration du spirituel dans le quotidien pour aider ces femmes à retrouver et à garder leur dignité par le biais de l’indépendance économique » lit-on dans une brochure de Rehema.
Mme Robarts s’efforce aussi d’exprimer les principes de la foi bahá’íe dans son art. « L’objet de mes peintures est d’apporter la joie, la vie et la spiritualité aux gens, » dit-elle. « J’essaie d’inspirer un sentiment de paix dans mes œuvres. »
Sur tous les plans, elle a réussi. « Elle est considérée comme l’une des meilleures artistes du Kenya » dit Morris Amboso, conservateur de la galerie Watatu, la plus grande galerie privée d’Afrique de l’est qui a exposé plusieurs fois l’œuvre de Mme Robarts. « Les gens aiment son style. Il procure un sentiment de bonheur. »
Mme Robarts a exposé non seulement à Nairobi mais aussi en Ouganda, en Afrique du sud, au Canada, en Angleterre et aux États-Unis. Des collectionneurs privés du monde entier, du Japon à la Suisse, possèdent ses tableaux.
« C’est une artiste internationale qui possède un immense talent » dit Remi Aruasa, propriétaire de la galerie Halphen Gochi à Nairobi. Mme Aruasa, qui est bouddhiste, a aussi exposé récemment les peintures de Mme Robarts dont elle possède une trentaine de tableaux dans sa collection privée. « Elle est capable de représenter, sous une forme abstraite, ce que les gens appellent couramment le chemin spirituel. Et j’ai remarqué que ses abstractions parlent aux gens qui sont profondément engagés sur le plan spirituel, quelle que soit leur religion. »
Géraldine Bannister, c’est son nom de jeune fille, est née à Londres en 1939 ; elle a été envoyée chez des parents en Afrique du Sud pendant le Blitz. Élevée là-bas jusqu’à l’âge adulte, elle a étudié les Beaux-arts à l’Université du Witwaterstrand et obtenu sa maîtrise à l’Université de Nairobi.
Elle est devenue bahá’íe à 19 ans, ce qui sans aucun doute a été l’une des grandes étapes de sa vie. « Je n’avais reçu aucune éducation religieuse mais je cherchais » dit-elle, racontant comment, jeune femme, elle allait dans presque toutes les églises de Johannesburg. « Je savais que Dieu existait. »
C’est à l’université qu’elle a rencontré un jeune étudiant en architecture, Patrick Robarts, qu’elle épousera plus tard. M. Robarts lui a parlé des principes de la foi bahá’íe. Quand il lui a parlé de l’unité de Dieu, de l’humanité et des religions, elle avait l’impression d’avoir enfin trouvé la vérité.
Les principes bahá’ís traduisent ce qu’elle a toujours pensé. « Dans l’école privée où j’ai été éduquée en Afrique du Sud, depuis l’âge de six ans, la première leçon du jour commençait ainsi : ‘Vous êtes de petits enfants blancs, dans une petite classe blanche et vous êtes meilleurs que les autres parce que votre peau est blanche’. » Et je savais que c’était faux. Parce que - et c’est la première fois que j’ai compris qu’il n’y avait qu’un Dieu - ma mère louait illégalement à une famille noire un petit appartement dont nous étions propriétaires. Or, tous les soirs, ils chantaient des prières. Parfois, j’écoutais. Et je savais que Dieu était dans la pièce.
Elle s’est mariée avec M. Robarts en 1962 et, renonçant à élever ses enfants dans une Afrique du Sud où régnait l’apartheid, elle est rentrée à Londres puis, en 1964, a regagné l’Ouganda. En 1972, la famille est partie pour le Kenya pour fuir le régime répressif d’Idi Amin.
Tout en élevant ses quatre enfants, elle a peint et enseigné la peinture. De 1964 à 1970, elle a donné des cours d’art à la prestigieuse Université Makerere de Kampala. De 1977 à 1982, elle a enseigné la peinture à l’Université Kenyatta de Nairobi où, pendant deux ans elle a été directrice du département de peinture.
Pendant qu’elle enseignait l’art, elle a croisé des femmes rurales. Son activité dans le domaine du développement a commencé avec un groupe de femmes Kikuyu, à Limuru, situé à une cinquantaine de kilomètres de Nairobi. Comme elles n’arrivaient pas à fabriquer et vendre des objets d’art, elle leur a appris à fabriquer des objets simples comme des paniers et des baobabs décoratifs à partir de fibres de bananiers.
Susan Mwendwa, présidente du Groupe des femmes de Matinyani a entendu parler de Mme Robarts et de ce qu’elle a fait pour le groupe de Limuru ; elle lui a demandé de venir également les aider.
Ce qui a commencé comme une formation artistique est devenu une collaboration à part entière dans le domaine du développement rural. Avec le concours de deux kenyanes, Margaret Ogembo et Catherine Mboya, qui ont aussi participé à toutes sortes d’activités de développement, elle a créé la Rehema qui leur a permis d’officialiser leurs activités.
Mme Robarts avoue qu’elle reçoit plus qu’elle ne donne en faisant ce travail. « Ce que les femmes de Kalimani m’ont apporté, c’est un sentiment de richesse, là » dit-elle, en se frappant le cœur. « Et la joie de vivre. Ces femmes traversent toutes sortes de difficultés avec tant de noblesse. Elles m’ont aussi appris que nous sommes tous des grains de poussière sur le chemin de Dieu. »
Ainsi, elle chevauche deux mondes, la peinture et le développement, qu’elle considère tous deux comme des terrains d’entraînement pour l’esprit.
« Pour moi la peinture est assurément une prière » dit-elle. « L’esprit et la matière de mes œuvres me sont donnés, je crois, par Dieu. Je me sens plus proche de Lui lorsque je peins. Je ressens un formidable sentiment d’amour, celui d’être un roseau creux à l’intérieur duquel circule Son pouvoir. »
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