Revue n° 37, 1999
Les femmes de Matinyani, qui s’appuient sur les ressources locales, sont un modèle pour le reste du monde
MATINYANI, District de Kitui, Kenya — Si elle n’avait participé au Groupe des femmes de Matinyani qui l’a formée, Tabitha Muthui pense qu’elle serait aujourd’hui entraîneuse dans un bar et peut-être même morte. « J’ai vu tant de femmes qui, abandonnées par leurs parents, ont été obligées de faire un sale boulot, comme travailler dans des clubs » dit Mme Muthui. « Elles attrapent le Sida, tombent malades et finissent par mourir. »
Mais, grâce en partie à ce qu’elle a appris dans les classes de tissage du centre communautaire du Groupe, Mme Muthui gère un commerce assez prospère et rapporte même plus d’argent que son mari maçon. Elle tisse à domicile des tentures vendues pour l’équivalent de 400 FF.
« J’ai construit une maison pour nous et pour nos enfants » dit cette mère de 28 ans. « C’est grâce au tissage. »
Cette histoire n’est pas rare ici où le succès du Groupe des femmes de Matinyani qui dispense une formation afin d’acquérir les compétences nécessaires pour lancer de petits projets rémunérateurs, représente l’une des initiatives les plus applaudies au Kenya.
Créé à la fin des années 1980, le Groupe a démarré sur une idée simple : construire un centre communautaire. La réalisation de cette idée a attiré l’attention d’autres groupes de femmes ainsi que d’organismes de développement et de financement, débouchant sur une série de projets dont le tissage et la commercialisation de paniers de sisal et de tentures murales artistiques, un projet simple mais très lucratif de mangues lyophilisées, plusieurs petites boulangeries, un moulin, une briqueterie et enfin, une poterie.
« Au cours de mes trente années, ou presque, d’expérience professionnelle dans le domaine des projets de développement, ces derniers projets sont à mes yeux le plus bel exemple d’activités communautaires pour un développement durable » dit Alfred K. Neumann, conseiller principal au Centre des sciences de la santé de l’Université de Californie à Los Angeles.
« Les projets n’ont pas seulement mis l’accent sur la génération de revenus dans un cadre moral et éthique, ils ont aussi mis l’accent sur le bon usage des revenus »dit M. Neumann. « Il en résulte que plus d’enfants sont vaccinés et vont à l’école, en particulier les filles, que la population est mieux nourrie et en meilleure santé et, enfin, que les maisons sont mieux équipées. »
Selon les estimations de M. Neumann, les projets ont touché directement plus de 1 000 femmes, soit 10 000 personnes en comptant les membres des familles. « Les retombées de ces projets profitent sans doute à beaucoup d’autres et ces chiffres sont donc estimés au plus bas » ajoute-t-il. Les exemples comme celui de Mme Muthui montrent que de nombreuses femmes ont vu leurs revenus augmenter substantiellement. Enfin, le succès du Groupe a incité d’autres groupes de la région à lancer des projets comme celui du centre de santé de Kalimani
[Voir article sous le titre « Au Kenya, le succès du développement repose ... » dans le même numéro.
Tous ces projets seront exposés à la foire internationale Expo 2 000, qui se tiendra à Hanovre (Allemagne) et au Centre d’Epcot en Floride (États-Unis). Ils ont aussi reçu une distinction de l’Institut international pour le développement durable qui les a qualifiés « d’initiatives locales extrêmement positives ».
Le projet a réussi grâce notamment aux traditions spécifiques des Akamba qui laissent aux femmes une large autonomie et encouragent le respect mutuel au sein des groupes. A plus d’un titre cependant, c’est grâce à deux femmes - une Akamba autochtone et une européenne élevée en Afrique du sud - que ces projets ont pu se dérouler dans une perspective nouvelle et bénéficier de conseils extérieurs et que les groupes ont rencontré un tel succès.
Susan Mwenda, qui est née dans le district voisin de Machakos, a usé de son influence en tant qu’épouse de parlementaire, vers la fin des années 1980, pour se déplacer et aider les femmes Akamba à s’organiser au sein de groupes importants et bien structurés capables de se mobiliser pour lancer les nombreux projets entrepris dans la région. En tant que présidente du Groupe des femmes de Matinyani, elle a surveillé la construction du centre polyvalent de Matinyani - premier grand projet du Groupe. A son tour, le centre a organisé une formation à des activités génératrices de petits revenus.
L’artiste Géraldine Robarts, née à Londres et installée à Nairobi, est entrée en scène peu de temps après la construction du centre polyvalent et, en tant que représentante de l’organisation non gouvernementale Rehema, elle a apporté un savoir-faire intéressant qui a permis au Groupe de changer d’optique et de passer de la fabrication de paniers simples sans grande valeur à celle de tentures murales beaucoup plus rentables. Elle a introduit la technique de la lyophilisation des mangues et Rehema a organisé des ateliers sur différents sujets allant de l’hygiène à la consultation ; ces ateliers ont permis au Groupe de mieux fonctionner et de prendre conscience des problèmes de santé. Mme Robarts a joué un rôle important pour obtenir une aide extérieure.
Mme Mwendwa et Mme Robarts ont appliqué des principes clés qui ont permis de suivre les initiatives du Groupe et d’éviter les problèmes qui sont souvent à l’origine de l’échec des projets communautaires, comme l’appel à des apports extérieurs coûteux ou une aide en dollars qui soutient artificiellement le projet par exemple en finançant des programmes de formation.
Elles ont souligné l’importance du développement de l’artisanat et des objets commercialisables fabriqués entièrement à partir des ressources locales, comme le sisal, avec les niveaux de compétence appropriés et le moins de technologie possible.
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