Revue n° 30, 1997
Les exigences de la mondialisation
Les milieux internationaux sont engagés dans un grand débat sur la mondialisation et se posent la question de savoir si ce phénomène est bon ou mauvais. Bien sûr, c’est une manière un peu simpliste de présenter les choses mais c’est de notre attitude collective face à ce phénomène que dépendra la prospérité des uns et la pauvreté des autres au 21ème siècle.
Le terme «mondialisation » n’a pas la même signification pour tous. Pour certains, c’est un mouvement purement économique, le résultat de la libéralisation des forces du marché à l’échelle mondiale, un processus amorcé depuis un siècle qui s’est considérablement accéléré depuis la chute du communisme et l’assouplissement d’autres régimes dirigistes.
Pour d’autres, il caractérise l’internationalisation croissante des échanges et des communications dans de très nombreux domaines, par exemple le fait que des musiciens puisent de plus en plus leur inspiration dans les mélodies et les rythmes d’autres cultures, que des ennemis d’hier participent aujourd’hui, conjointement, à des missions de maintien de la paix ou que chacun se rende compte tout à coup qu’il rencontre de plus en plus de visages et d’accents étrangers dans sa propre ville.
Peu importe la définition. La mondialisation est un fait dynamique et réel qui entraîne partout de nombreux changements souvent spectaculaires, si ce n’est dans les endroits les moins avancés. Selon le point de vue sous lequel vous vous placez, les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez et vos perspectives personnelles, le processus vous paraîtra comme extrêmement positif ou foncièrement négatif.
Ceux qui sont pour la mondialisation pensent qu’elle apportera la prospérité à des millions et des millions d’individus du monde entier, qu’elle fera tomber les frontières nationales et culturelles et qu’elle contribuera à faire avancer la paix.
Ceux qui sont contre font valoir au contraire que le libre jeu des forces du marché a été si chaotique qu’il a déclenché une tornade dévastatrice qui maltraite les travailleurs, appauvrit les pauvres et enrichit les riches sans parler des dégâts considérables causés à l’environnement. Pour eux, les effets secondaires de la mondialisation sont tout aussi redoutables, depuis la propagation du SIDA et de la toxicomanie jusqu’à la création d’une monoculture mondiale dans laquelle les traditions locales disparaissent et la diversité s’estompe.
Au Sommet mondial du développement qui s’est tenu à Copenhague en 1995, toutes les nations du monde ont pris acte de ce double phénomène.
D’un côté, la mondialisation – qui résulte de la mobilité accrue des hommes, de la rapidité des communications et de l’augmentation des flux commerciaux et des capitaux – ouvre de nouvelles possibilités en faveur de la croissance économique et du développement durable, en particulier dans les pays en développement. Elle permet aussi aux pays d’échanger leurs expériences, de tirer les leçons des succès et des difficultés des autres et de favoriser le partage des courants d’idées, de cultures et d’aspirations.
D’un autre côté, la rapidité des changements et des ajustements s’accompagne d’une plus grande misère, du chômage et d’une désintégration de la société. La mondialisation touche aussi le bien-être de l’homme qui se voit menacé, par exemple sur le plan de l’environnement.
La vraie question est de savoir si les côtés négatifs de ce processus généralisé peuvent être atténués et ses aspects positifs développés. Car il est évident que la mondialisation est en marche et qu’on ne peut plus l’arrêter.
Le débat se pose également quant aux raisons qui sous-tendent ce phénomène. Pour certains, la mondialisation est essentiellement un phénomène économique, le résultat du jeu des forces du marché s’exerçant librement à l’échelle mondiale.
Pour d’autres, c’est un phénomène technologique. Des inventions comme le téléphone, la télévision, la micro-puce, l’ordinateur et le réseau Internet ont petit à petit fait éclater les barrières de temps, de distances et de nationalités.
D’autres, enfin, avancent des raisons historiques et pensent que les catastrophes qui ont marqué ce siècle – les deux guerres mondiales, la montée puis la chute du marxisme, le colonialisme etc. – ont préparé un vaste creuset dans lequel les peuples ont pu se mélanger et se rapprocher.
Tous ces facteurs doivent être pris en considération. Les bahá’ís y ajoutent une autre dimension souvent ignorée mais qui sous-tend tout le reste : la dimension spirituelle.
Pour les bahá’ís, la religion, force motrice de l’histoire humaine, a été un facteur de l’intégration croissante de la société et du progrès de la civilisation. Dans cette optique, la religion est comprise comme la révélation successive et progressive de la volonté de Dieu aux hommes par l’intermédiaire de ses Messagers qui ont fondé les grandes religions du monde.
Bahá’u’lláh, dernier en date des messagers divins, a écrit il y a un siècle que l’humanité était entrée dans une nouvelle ère d’unité et d’interdépendance. Selon les bahá’ís, l’avènement de la civilisation planétaire résultera de cet impératif spirituel qui fait partie de la volonté du créateur de faire progresser ses créatures à des niveaux d’unité et de progrès de plus en plus élevés. Le phénomène actuel de la mondialisation bat en brèche bien des concepts désuets comme ceux de séparatisme et de supériorité liés à la classe sociale, à la race ou à la nationalité.
Selon cette pensée, la dynamique du rapprochement des peuples en une seule race déclencherait un cataclysme : « L’ordre actuel des choses est lamentablement défectueux, et des signes d’imminente convulsion et de désordre peuvent être discernés... Bientôt le présent ordre de choses sera révolu et un nouveau le remplacera. »
Bahá’u’lláh a aussi reconnu que les conséquences de cette révolution, qui peut être comparée à la démolition d’une vieille bâtisse pour en reconstruire une neuve, pouvaient être atténuées. L’essentiel, c’est que l’humanité reconnaisse, comprenne et applique les nouvelles règles et les nouveaux principes spirituels qui guident cette période.
Entre autres choses, les commandements et principes spirituels de fidélité et d’honnêteté doivent impérativement guider toutes les actions de l’homme ; celui-ci doit affirmer partout son unité fondamentale et donc bannir tous les préjugés de race, de classe, ou de nationalité, reconnaître que les hommes et les femmes sont pleinement égaux et prendre des mesures fortes et efficaces pour effacer les énormes disparités entre les riches et les pauvres.
Les effets négatifs de la mondialisation ne peuvent être atténués que par le renforcement de la coopération et de la consultation internationales dans le cadre d’un nouveau système de valeurs morales qui privilégie le bien-être de l’homme et la justice sociale par rapport au matérialisme ambiant.
La création de nouvelles institutions au niveau mondial a également été préconisée, ce qui pourrait en quelque sorte « réveiller la conscience » de l’humanité sur la voie d’une unité de plus en plus étroite.
Par exemple, Bahá’u’lláh a préconisé la mise en place d’un nouveau système de gestion des affaires publiques fondé sur le principe de la sécurité collective dans le cadre duquel les nations du monde feraient front contre toutes les agressions possibles et travailleraient ensemble à l’élimination de la pauvreté et de l’oppression. Il a aussi souligné l’importance d’une bonne gestion des affaires locales pour ouvrir la voie à la mise en place d’un système capable de traiter en même temps les problèmes mondiaux et locaux.
Les effets négatifs de la mondialisation ne peuvent être contrebalancés que par le renforcement de la coopération et de la consultation internationales, dans le cadre d’un nouveau système de valeurs morales qui privilégie le bien-être de l’homme et la justice sociale par rapport au matérialisme ambiant.
Pour canaliser les forces de la mondialisation, il faut mettre en place une sorte de super-autorité internationale, un « gouvernement mondial » veillant, au fil de la progression de la mondialisation, au respect des droits de l’homme et des travailleurs ainsi qu’à la protection de l’environnement.
Tout devient plus clair si nous revenons à l’analogie selon laquelle la race humaine devient progressivement « une seule âme et un seul corps ». Ne pas mettre en place cette autorité mondiale, penser que l’association actuellement floue des nations peut prémunir la majorité des hommes contre les effets pervers de la mondialisation, cela revient à suggérer qu’un corps peut fonctionner sans cerveau.
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