Revue n° 24-25, 1996
Un nouveau modèle d’éducation adapté à notre époque
Recherche d’un projet d’éducation morale
Lori McLaughlin-Noguchi, Holly Hanson et Paul Lample
Fondation B Samandari
Genève, 1996
« Le sujet de l’éducation est aussi vaste et ancien que l’histoire de l’humanité… Plus spécifiquement, l’éducation morale est intimement liée à la vie spirituelle de l’homme dont les sources remontent à l’origine des temps… »
« Aujourd’hui, alors que les dangers qui pesaient lourdement sur la planète et qui menaçaient la survie même de ses habitants semblent, au moins temporairement, écartés, il apparaît crucial de créer des bases solides pour une civilisation de paix qui reposerait sur la justice et aboutirait à la prospérité de l’ensemble de l’humanité », écrit la Fondation Bahman Samandari en introduction à la version française de “Recherche d’un projet d’éducation morale”, (“Exploring a Framework for Moral Education”).
«Le 18 mars 1992, Bahman Samandari fut exécuté à Téhéran car il partageait cette vision et œuvrait dans cette voie.
C’est en sa mémoire et pour poursuivre le travail qu’il a commencé que la Fondation Bahman Samandari a été créée en 1996. La publication de l’édition française de ce fascicule sera suivie d’autres publications et initiatives dans le domaine de l’éducation et du développement moral de l’homme et de la société. »
Les auteurs de la présente étude, Lori McLaughlin-Noguchi, Holly Hanson et Paul Lample se proposent d’élaborer un projet d’éducation morale fondé sur les éléments de leur foi commune. Il va sans dire que l’élaboration systématique d’un modèle d’éducation morale adapté à notre époque de mutation sociale sans précédent exige une structure de pensée nouvelle et cohérente. S’inspirant d’enseignements spirituels débarrassés des œillères du sectarisme et du fondamentalisme, les auteurs ont fait un grand pas en avant dans la recherche d’une telle structure et leur contribution sera appréciée, même par ceux qui ne partagent pas leurs convictions religieuses.
Plusieurs aspects de cette étude méritent une attention particulière. Les auteurs ont examiné la morale successivement sous l’angle d’une interprétation particulière de l’histoire, d’une vision de l’avenir de l’humanité et d’une évaluation cohérente des forces qui font bouger la société actuelle. Tout en insistant sur la nécessité d’un idéal moral clairement défini, ils évitent l’écueil de la simplification. L’idéal moral est pour eux un principe d’organisation évolutif et organique qui aide les individus à transformer leur propre caractère et à contribuer au changement de la société. Cette transformation personnelle et sociale s’opère dans tous les domaines et implique la redéfinition des structures et des processus qui déterminent les relations essentielles, en particulier entre l’homme et la nature, entre les individus, au sein de la famille et entre l’individu et les institutions sociales.
En ce qui concerne les vertus humaines, les auteurs se gardent d’utiliser un ton moralisateur. Ils y arrivent, en partie, en mettant l’accent sur les aptitudes morales, c’est-à-dire sur « ce que les individus doivent être capables de faire pour réaliser le double idéal de la transformation de soi et de la société ». Ils définissent cette capacité comme « la faculté acquise d’entreprendre des actions réfléchies dans un domaine d’activité bien défini ». Pour élaborer des programmes d’éducation morale, les éléments de ces capacités – ensemble des qualités, attitudes, compétences et concepts moraux – doivent être analysés globalement. Parmi ces éléments, les qualités spirituelles feront l’objet d’une étude à part dans la mesure ou il s’agit de caractéristiques intrinsèques de l’âme humaine et du seul fondement fiable de la morale.
Les auteurs de “Recherche d’un projet d’éducation morale” sont partis d’un point de vue spirituel et leur démarche mériterait d’être approfondie afin d’éclaircir les questions de morale et d’éthique au stade actuel d’évolution de l’humanité. Toutefois, la mise au point de méthodes d’enseignement permettant de développer le comportement moral s’appuie sur le contenu et les méthodes scientifiques.
Pour que science et religion puissent jouer des rôles complémentaires dans l’élaboration d’un nouveau système d’éducation morale, il convient de réexaminer les idées traditionnelles sur leur relation. En fait, la vieille querelle entre la science et la religion vient de l’opposition entre la religion corrompue et la science arrogante. La science est le système qui permet à l’humanité de comprendre l’existence matérielle et la religion celui qui l’aide à comprendre sa nature spirituelle. Dire qu’il existe une opposition intrinsèque entre les deux est dénué de fondement véritable. Le comportement moral est l’expression de la nature spirituelle de l’homme dans le monde matériel; c’est pourquoi l’éducation morale doit se référer à la fois à la religion et à la science.
Le fait que les auteurs suggèrent de partir de l’étude des aptitudes morales pour élaborer des programmes d’enseignement ouvre des voies intéressantes à la démarche scientifique. Eclairées par la religion sous sa forme pure (sans bigoterie ni superstition), des études systématiques expliqueront à la fois la nature des aptitudes morales souhaitées et les qualités, attitudes, compétences et concepts correspondants. A travers la recherche et l’expérimentation scientifique, on pourra découvrir les contenus et les méthodes d’éducation qui permettront de renforcer ces qualités aux différents stades du développement individuel. Pour réussir, cette démarche scientifique ne peut s’en remettre uniquement à l’expérimentation contrôlée, quand bien même les expériences seraient particulièrement bien conçues et évaluées. Dans ce cas, la recherche ne saurait être isolée de la pratique d’enseignement. La systématisation de l’expérience et de la conceptualisation devra faire partie intégrante du processus de telle sorte que les résultats des méthodes d’enseignement, dans des contextes culturels différents, soient intégrés dans l’ensemble des connaissances accumulées sur l’éducation morale. Cette recherche et cette pratique systématiques nécessitent la collaboration de réseaux mondiaux d’établissements d’enseignement désireux de consacrer leur énergie et leurs ressources à l’élaboration d’un nouveau système d’éducation morale à l’intérieur d’un cadre commun. L’intérêt de cette étude tient précisément au fait qu’elle représente le premier pas, aussi timide soit-il, vers la recherche d’un cadre commun qui, tout en se prêtant à la démarche scientifique, reste fidèle à la plus pure vocation spirituelle de l’homme.
— Farzam Arbab
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