Revue n° 22, 1995
Le Forum des ONG surmonte les crises pour célébrer la paix dans le monde
HUAIROU, Chine — Comme l’ont souligné les grandes agences de presse mondiales, le Forum 95 des ONG sur les femmes a dû faire face à des conflits et des crises. Outre des mécontentements sur la sécurité ou le mauvais temps, la plus grande réunion mondiale sur les femmes jamais organisée a réglé des problèmes qui ont été pain béni pour les journalistes habitués aux conflits et catastrophes.
La majorité des quelque 30 000 participants au Forum a néanmoins ressenti tout à fait autrement les 10 jours passés dans cette station touristique populaire à une cinquantaine de kilomètres au nord de Beijing. Du point de vue des femmes ordinaires qui s’y sont rendues en provenance de presque chaque pays, le Forum a été l’énorme potentiel de paix, loin d’être exploité aujourd’hui, que pourrait apporter le renforcement de la responsabilisation des femmes.
C’était une communauté spontanée, où des amitiés nouvelles et anciennes se sont forgées ou renouées. Comme l’a exprimé un participant, on a assisté à une université émergente où, à travers quelque 5 000 ateliers, séminaires et autres activités on a pu mettre au jour les nombreuses préoccupations et les connaissances qu’ont les femmes à travers le monde. Ce fut aussi un lieu où les énormes difficultés, fussent-elles à propos du temps, des transports ou de la politique, ont pu être en fin de compte largement surmontées.
« Le Forum des ONG, qui marque un tournant dans le mouvement féministe, a réuni des femmes de tous milieux, » dit Supatra Masdit, convocateur du Forum, lors d’une dernière conférence de presse. Tout en reconnaissant qu’il y a eu des « incidents et des divergences d’opinion », elle a ajouté que « la paix et les liens d’amitié ont pris le pas - et que le vrai Forum, c’était ça ».
Les accents du Forum
Organisé parallèlement à la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes [Voir article sous le titre « La Conférence de Beijing approuve … » dans le même numéro], le Forum a marqué le point d’orgue de deux années de réunions régionales d’organisations non-gouvernementales (ONG) visant à élaborer des recommandations à soumettre aux gouvernements concernant des propositions sur l’avancement de la cause des femmes dans le monde.
Dans ce contexte, l’accent a été mis sur les questions examinées dans le cadre de plus de 5000 discussions plénières, ateliers et manifestations culturelles – organisés pour la plupart par des groupes à la base venus du monde entier. Les activités ont été centrées autour de 13 grands thèmes: économie, gouvernement et politique, droits de l’homme, paix et sécurité de l’homme, éducation, santé, environnement, spiritualité et religion, science et technologie, médias, arts et culture, race et ethnicité et la jeunesse.
La bonne participation aux séances plénières, ateliers et séminaires a été assez régulière et c’est dans ce cadre qu’ont été examinés les graves problèmes qui touchent les femmes du monde entier, depuis la discrimination sur le lieu de travail jusqu’au fardeau de la pauvreté qui, partout, pèse lourdement sur les femmes et les jeunes filles.
« Il est inacceptable que les femmes représentent 70% des 1,3 millions d’individus qui vivent dans une pauvreté absolue, » souligne Noeleen Reyzer, directrice du Fonds des Nations Unies pour les femmes (UNIFEM) lors d’une conférence au Forum. « Il est également inacceptable que les deux tiers des heures de travail effectuées dans le monde le soient par des femmes alors qu’elles ne gagnent qu’un dixième des salaires et possèdent moins d’un dixième des biens du monde. De nombreux changements fondamentaux s’imposent. »
La responsabilisation des femmes et la paix
Les réunions ont également exploré les solutions, en particulier les solutions alternatives, auxquelles on pourrait recourir si les femmes avaient plus de pouvoir pour agir sur la scène politique. En fait, la nécessité de renforcer la responsabilisation des femmes et de les faire entrer dans les cercles fermés de la prise de décision à tous les niveaux a été un point sensible de bon nombre des discussions au Forum.
« Pour autant que je sache, aucune guerre n’a jamais été déclenchée par des femmes, » a déclaré la lauréate du Prix Nobel de la Paix, Aung San Suu Kyi, de Myanmar, dans le discours qu’elle a prononcé à l’ouverture du Forum. « Mais ce sont les femmes et les enfants qui ont toujours le plus souffert des conflits. Maintenant que nous arrivons à maîtriser le premier rôle historique qui nous a été imposé, celui de préserver la vie au sein du foyer et de la famille, il est temps d’appliquer au monde la sagesse et l’expérience millénaires que ces activités nous ont apportées. L’éducation et le renforcement de la responsabilisation des femmes dans le monde entier ne peuvent que déboucher sur une société plus humaine, plus tolérante, plus juste et plus éprise de paix. »
Un atelier organisé par l’Association internationale de recherche sur la paix et la Communauté internationale bahá’íe a exploré les nouveaux modèles de résolution des conflits. Pour Betty Reardon, directrice du Programme d’éducation pour la paix à la Columbia University de New York et Roda Mahmoudi, chercheur pour la paix à l’Université luthérienne de Californie, les vieilles méthodes de recours à la force, comme moyen de résoudre les conflits, doivent céder le pas à de nouveaux accords axés sur les besoins et les valeurs que nous partageons tous.
Selon Mme Reardon, l’ancien modèle est fondé sur deux idées battues en brèche par l’interdépendance croissante du monde: premièrement, croire qu’il est possible de rester séparés, soit en termes de partis politiques, de groupes ethniques ou de nations tout en étant “ viables ”; deuxièmement, comme le monde n’est pas assez riche – en termes de pouvoir ou de ressources – croire qu’il faut recourir à la force pour les conserver.
Toutefois, les femmes savent que les systèmes de sécurité destinés à maintenir ces séparations sont en fait des sources d’insécurité, a ajouté Mme Reardon. En privilégiant le consensus et la coopération plutôt que le conflit, on pourra créer un développement durable et une “ culture de paix ” pour tout le monde sans recourir à la force.
Pour Mme Mahmoudi, la consultation, qui est une méthode spécifique de prise de décision non partisane employée par les communautés bahá’íes du monde entier, offre un modèle distinctif de consensus et de coopération,
La consultation repose sur un processus de réflexion progressive destiné à établir les faits, et identifier les principes communs, sur une discussion ouverte et finalement sur un brassage d’idées en vue d’aboutir à un consensus, dit Roda Mahmoudi. A son avis, la clé de la paix se trouve dans la construction d’une communauté à partir de la base et qui ne soit pas imposée d’en haut. « Dès demain, vous pouvez commencer cette méthode sur votre lieu de travail, » dit-elle.
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