Revue n° 40, 2000
Un roman d’aventures, d’espérances et d’illuminations
La Sacoche
Bahiyyih Nakhjavani
Actes Sud
Paris, 2000
Parmi les nouvelles expressions culturelles figurent la « world music » et la « world literature »… On peut classer dans cette dernière catégorie des auteurs comme Michael Ondaatje, Vikram Seth et Salman Rushdie, dont les œuvres, inspirées par la culture de leurs auteurs, sont le fruit d’une sensibilité moderne et cosmopolite.
La Sacoche, l’édition française du roman The Saddlebag, de Bahiyyih Nakhjavani, est le dernier modèle du genre. Dans son cadre exotique, avec son intrigue qui tourne autour d’une sacoche dérobée, son style en prose lyrique et sa collection fascinante de personnages, le roman transporte le lecteur en plein désert, tout en dénonçant les lâchetés et les faiblesses de l’humanité.
Au milieu du 19ème siècle, une caravane de voyageurs progresse dans le désert sur une route proche de La Mecque. Se croisent alors neuf destinés qui toutes basculent, en une après-midi, au moment où chacun entre en possession d’une sacoche remplie de textes dont la teneur reste mystérieuse jusqu’à la fin du roman et qui oblige les personnages à aller au plus profond d’eux-mêmes.
Se succèdent un voleur romantique épris de liberté ; une jeune fiancée mystique ; un chef de bandits fier de sa puissance ; un changeur roublard ; un pèlerin menant une quête spirituelle nihiliste ; un religieux inquisiteur à la dévotion excessive ; un espion de Sa Majesté déguisé en derviche et enfin un cadavre.
L’une des raisons ayant poussé l’auteur à écrire ce livre était de voir comment les chemins de personnes de races, de cultures et d’origines différentes pouvaient se croiser et se recroiser par pur hasard, tout en ayant un sens. « Si cela est possible à travers un roman, il n’y a pas de raison que cela ne puisse pas également être utilisé comme une métaphore valable à d’autres niveaux : politique, religieux, économique. »
L’action s’enrichit chapitre après chapitre, puisque c’est pour ainsi dire le même épisode que la romancière raconte chaque fois avec une mise en scène différente. Le roman montre comment un événement résulte de la jonction, du télescopage presque, des volontés, des pensées, des intentions propres à chaque individu, et dont souvent l’événement lui-même ne garde pas la trace, pas plus qu’un individu n’est à même de percer les desseins de son prochain.
L’écriture fine, précise, inspirée, compose un roman dont la lecture procure un plaisir intense auquel l’humour et le souffle du merveilleux participent éminemment.
En témoigne le passage suivant, extrait de l’histoire du voleur : « Sans qu’il sût lire, le désert avait fait de lui un érudit. Il avait découvert des traités entiers cachés dans les tempêtes de sable ; il avait lu un millier de poèmes inscrits en travers de l’horizon. Quand il avait l’âme pure, au lever du soleil, il comprenait le langage des sables ».
Alors que le vol détruit la fragile existence du voleur, il lui confère, en mourant, une transcendance mystique qui lui apporte les connaissances, la richesse et la foi qui lui avaient été refusées dans la vie. « Clairvoyant et ouvert, il mourut alors, aussi riche qu’un prince du royaume, les yeux couleur d’ailes d’ange. »
La Sacoche est un ouvrage doté d’une surprenante capacité à transformer le lecteur, qu’il questionne en ses tréfonds sur sa propre destinée.
Il s’agit du premier roman de Bahiyyih Nakhjavani. Née en Iran, elle a grandi en Ouganda et a fait ses études secondaires et universitaires en Angleterre et s’est consacrée durant ces vingt dernières années, dans diverses régions du monde, à l’enseignement de l’anglais, des littératures anglophones et de l’art. Elle vie actuellement en France.
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